Accueil

Les Communs numériques

1. Les communs

Définition

Les communs sont des ressources partagées, gérées et maintenues collectivement par une communauté.
Ces ressources peuvent être naturelles (une forêt, une rivière), matérielles (une machine-outil, une maison, une centrale électrique) ou immatérielles (une connaissance, un logiciel).

Ne pas confondre « communs » et « bien public » : un bien public n’est pas un commun, c’est une autre forme de propriété, dans laquelle le propriétaire est un État ou une collectivité ou un acteur public.

Historique

Ce n’est pas un phénomène nouveau !
Les Romains définissent déjà les res publicae (tout ce qui relève du domaine public) et les res communis (les « choses» communes = les biens communs, ce que personne ne peut s’attribuer, s’approprier au détriment d’autrui).

Ce concept a ensuite disparu à la chûte de l’Empire romain, remplacé par l’arrivée en force en Europe de la notion de propriété personnelle (appropriation des terres et même des personnes, pendant le haut Moyen-âge).

Pour autant, des pratiques subsistent ou se développent un peu partout dans le monde :

Les enclosures

En Angleterre, une tendance à l’appropriation des terres communes va apparaître à la fin du Moyen-Âge avec le développement du commerce de la laine : les riches propriétaires terriens vont vouloir augmenter leur surface agricole et vont s’approprier – en les clôturant – des terrains communs : c’est le mouvement des « enclosures ».


Lien vers l’image : https://secretlibraryleeds.net/2017/12/01/the-manuscript-collection-1-the-armley-enclosure-act-award-1793/

Ce recul des communs atteindra son maximum à la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle : https://assets.cambridge.org/97805218/27713/excerpt/9780521827713_excerpt.pdf

La tragédie des Communs

Un article resté célèbre, publié par Garrett Hardin en 1968, va porter un coup à la notion de communs ; « La tragédie des communs ». L’auteur pense démontrer qu’une communauté, quelle qu’elle soit, est incapable de gérer un bien comme un « commun », parce que les utilisateurs de ce bien, selon lui, auront toujours tendance à maximiser leur bénéfice en suivant leur intérêt personnel, ce qui mènera inévitablement à l’épuisement de la ressource et à sa disparition.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Trag%C3%A9die_des_biens_communs

Elinor Ostrom

Économiste américaine, prix Nobel d’économie, elle publie en 1990 un livre consacré à la gouvernance des biens communs. C’est elle qui relance la dynamique autour des communs (matériels et immatériels). Elle met en particulier en évidence des principes essentiels au succès des communautés gérant des biens communs, parmi lesquels on peut citer :

Elle a permis de définir une 3e voie en caractérisant cette gouvernance des biens par une communauté (en plus de la voie de l’appropriation privée, associée à une idée de propriété exclusive, et de celle de la gouvernance par la puissance publique).
Elle démontre surtout que Garrett Hardin, comme beaucoup d’autres personnes, a basé son raisonnement sur une confusion entre gratuité, libre accès et propriété commune.
Ses travaux sont couronnés par un prix Nobel d’économie en 2009, ce qui remet sur le devant de la scène le principe des communs.

Les différents types de communs et les enjeux des règles de gouvernance.
Source : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Types_de_communs_et_leurs_enjeux.png

« Communs » ou « Biens communs » ?

Certains font une distinction entre un « commun » et un « bien commun » :

Hervé Le Crosnier précise :

« Dire "les biens communs" renvoie principalement à l’approche économique, centrée sur la ressource et sa propriété. Quand on veut parler de l’organisation sociale, d’une approche centrée sur la communauté et sa gouvernance, on utilise en général le terme de "communs" […] »

Deux types de communs

On distingue :

Notion de rivalité

Un commun matériel est dit « rival », c’est à dire que son utilisation par une personne empêche une autre personne d’en profiter. Par exemple, si je coupe un arbre dans une forêt commune, il n’est plus disponible pour quelqu’un d’autre. Si je mange une pomme dans le verger commun, elle disparaît et ne profite à personne d’autre. S’il n’y a pas de gestion correcte basée sur les règles de la communauté, une utilisation irréfléchie peut effectivement mener à la disparition de la ressource.

Un commun immatériel, au contraire, est considéré comme « non-rival », et c’est une caractéristique extrêmement intéressante qu’on retrouve évidemment dans les ressources numériques. Dans ce cas, non seulement l’utilisation d’un commun par une personne n’enlève rien aux autres personnes, mais bien souvent elle permet même d’enrichir la ressource originale au fil des partages et des échanges, ou de la multiplier, au gré des copies successives.

On touche là à un point crucial des communs immatériels, certainement leur plus gros avantage.

Lien direct vers la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=rUN-HN-OlSg

2. Les communs de la connaissance

La connaissance peut sans aucun doute être considérée comme un commun de par son aspect partagé, éminement collectif et colaboratif, et son caractère additif :

« la valeur même d’une connaissance dépend de la façon dont elle est reprise, utilisée, améliorée, adaptée, et sert in fine de support à la création de nouvelles connaissances. »

« le savoir humain grandit par accumulation, par sédimentation, de façon incrémentale et il n’est de connaissance qui ne soit nourrie des découvertes et idées des générations précédentes. »

Les communs numériques

L’arrivée d’internet, puis du Web, vient enrichir le mouvement des communs.
Par exemple, Internet est un réseau décentralisé permettant (entre autres choses) le fonctionnement du Web, basé sur des protocoles, règles et normes élaborées et discutées par des collectifs d’ingénieurs (IETF), qui a très vite été reconnu comme un commun numérique : « le 30 avril 1993, le CERN a mis le logiciel du World Wide Web dans le domaine public. Puis il a émis une version suivante de l’application sous licence libre, une façon plus sûre de maximiser sa diffusion. »
Tout ceci a permis le retour des communs dans le paysage actuel.

Les ressources numériques apportent un fait nouveau : dissocier l’information, la connaissance d’un support physique, ce qui va énormément faciliter leur diffusion et leur partage. Le caractère additif des ressources numériques est un élément capital puisque l’usage permet l’amélioration continue de la ressource.

Le numérique permet également la création d’un nouveau type de communauté : les communautés distribuées, « dé-territorialisées », dont les membres sont répartis sur l’ensemble de la planète et peuvent gérer un commun à distance (par ex. un logiciel libre).
On peut considérer que la construction de l’internet et du Web, née de l’activité collaborative, constitue un commun incontournable. Cependant, on note la présence de menaces d’enclosure permanentes avec les évolutions et l’augmentation des contraintes liées à la propriété intellectuelle.

Second mouvement des enclosures

Depuis le début des années 2000 on constate un retour du renforcement des enclosures dans le champ de la connaissance au sens large (James Boyle - 2003), avec un renforcement progressif et considérable des restrictions sur les droits d’auteur, en réaction à la multiplication des partages et échanges de contenus numériques rendus possibles grâce aux nouveaux outils comme internet, avec le partage P2P (peer to peer) par exemple.


Image Christopher Dombres, sur Flickr (CC0 – Public domain)

La posture des états et des grands acteurs privés a été exclusivement répressive (Hadopi, DRM) plutôt que d’essayer de construire un modèle économique alternatif basé sur les communs.

L’arrivée des compagnies géantes du Web, qui imposent leur vision du monde basée sur le profit et la dépendance, pose également la question de nouvelles tentatives d’enclosure menaçant en particulier le principe fondateur qu’est la neutralité du Net.

➜ On consultera à ce sujet cet article des équipes de l'Ambassadeur numérique du Ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères : « Des barbelés sur la prairie Internet : contre les nouvelles enclosures, les communs numériques comme leviers de souveraineté ».

Pour lutter contre cette logique d’enfermement des grandes compagnies qui se retrouvent parfois en situation de quasi-monopole, les communs sont une réponse à travers 3 points essentiels :

3. S’engager dans la démarche des communs

On peut à ce stade essayer de définir les principaux intérêts pour un organisme, quel qu’il soit, à s’engager dans une démarche de production de communs.

Pourquoi ?

Comment ?

4. Quelques exemples de communs

Ci-dessous, quelques exemples emblématiques de communs gérés par des communautés très importantes et distribuées à travers le monde. Il est évidemment impossible d’être exhaustif et très difficile de faire des choix pour établir cette courte liste de 6 exemples.
Ces services libres sont tout sauf anecdotiques puisqu’ils impactent des dizaines de millions d’utilisateurs à travers le monde.

Wikipedia

Universellement connue, la célèbe encyclopédie libre à laquelle chacun peut contribuer est gérée par The Wikimedia Foundation. Elle compte plus d’un million de contributeurs, et l’édition anglaise contient plus de 6,8 millions d’articles.
https://fr.wikipedia.org

OpenStreetMap

Base de données cartographiques libre du monde entier, à laquelle chacun peut facilement contribuer et qui permet, entre autres choses, de proposer à tous les cartes les plus riches et les plus détaillées qui soient. La carte, à l’adresse ci-dessous, n’est que la partie visible de l’iceberg. Les données d’OSM permettent d’alimenter de très nombreux outils et applications pour des finalités extrèmement variées.
https://www.openstreetmap.org

GNU/Linux

Projet basé sur des travaux initiés par Richard Stallman en 1984 (projet GNU), visant à produire un système d’exploitation totalement libre. L’ajout des possibilités offertes par Linux a permis de créer le système GNU/Linux.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Linux

LibreOffice

Suite d’outils bureautiques utilisant des formats ouverts destinés à fournir un ensemble cohérent favorisant le partage et l’échange de documents par les utilisateurs. LibreOffice est un commun géré et développé par la communauté The Document Foundation.
https://fr.libreoffice.org/

GéoServices de l’IGN

Ensemble de services de données géographiques libres gérés par l’IGN et mis à disposition de tous, pour des usages très variés dans de nombreux domaines (eau, climat, agriculture, santé, tourisme, transports, etc.)
https://geoservices.ign.fr/

OpenFoodFacts

Base de données libre et mondiale sur les produits alimentaires qui répertorie les ingrédients, les allergènes, la composition nutritionnelle et toutes les informations présentes sur les étiquettes des aliments. Toutes les données sont collectées par les milliers de contributeurs à travers le monde et servent pour éduquer, développer de nouveaux produits et services, et aider la recherche scientifique.
https://fr.openfoodfacts.org/

Et après ?

Nous sommes très loin d’avoir fait le tour du sujet, et il est impossible de parler de communs et de communs numériques sans aborder le chapitre des licences libres et des logiciels libres, de la Culture du Libre en général.
C’est un sujet très vaste et cela fera l’objet de prochains articles dédiés.
#StayTuned

5. Bibliographie / Sitographie




Mentions légales

Logo de la licence Creative Commons CC-BY-SA

Les Communs – Les communs numériques, by Alain MICHEL – Bureau de la Formation et de l'Innovation – AEFE, (2024) is licensed under CC BY-SA 4.0